vendredi, avril 20, 2007

< Made in town >

Comme je suis hors de moi, tout doit aller vite, très vite, je ne m'arrête nulle part, nulle part, je ne fais que passer et les choses aussi, doivent passer, les gens doivent passer, tout doit passer, très vite passer, passer passer, ça laisse pas de traces, ou alors si, mais dans l'air, c'est diffus, comme ça, en l'air, et tout passe mais pas n'importe comment, quand ça passe bien comme ça, bien fluide, ah là j'aime bien, quand tout est bien réglé, que ça marche bien, que tous les gens passent les yeux grands ouverts devant eux, et les choses, oui, pareil, grands ouverts les yeux sur le destin, sur le néant, oui, mais sans horreur, peut-être une panique mais pas sensorielle, c'est pas dans les nerfs, dans le corps, non, c'est une panique asensirielle et muette, oui, quelque chose comme ça, ça obéit au système, mais c'est pas un problème, attention, et c'est plutôt quand chacun prend plaisir à ça que ça devient plaisant, quand tout le monde aime cette fluidité et passe, il y a des éclairs, comme ça, qui se retiennent, mais tout passe quand même, j'ai horreur de ce qui ne passe pas, de ce qui est lent, de ce qui s'oppose à ces flux magiques, c'est vrai, c'est magique, très magique, c'est extraordinaire, mais je dois dire aussi que parfois je ne suis pas hors de moi, voilà, je ne sais pas être autrement, hors de moi ou alors pas du tout, bien enfermé, parfois isolé, mais quand je suis enfermé je suis encore hors de moi, alors voilà, isolé, là c'est le contraire, tout reste, ça passe peut-être, mais alors à des vitesses si lentes que ça reste dans l'air, un peu comme la fumée quand les fenêtres sont fermées, qu'il fait beau dehors à travers la vitre les rayons la transperce, on voit bien la fumée qui stagne, comme ça, comme des nuages sans vent, on ne sait pas s'ils avancent, et si on les regarde la journée a passé sans même qu'on s'en rende compte, si lents que si on les regarde à quelques heures d'intervalles on ne se rappelle même plus qu'ils étaient là, la mémoire nous revient au bout d'un moment, comme un étonnonement, "ah oui, tiens, c'est vrai, ils ne sont plus là les nuages qui n'avançaient pas", c'est pareil quand je suis isolé, toute chose peut se répéter indéfiniment ça ne me pose pas de problème, le monde n'existe pas ailleurs, dehors, j'y suis bien, ou plutôt le monde existe mais la différence est claire, il y a une frontière et surtout pas de conflit, je coexiste bien avec le monde en somme, voilà c'est comme ça quand je suis isolé, mais il ne faut pas qu'il y ait des gens qui viennent me voir, je préfère pas, ou alors pas beaucoup et rarement et qu'ils m'appellent avant, je préfère, et que nos rencontres soient des évènements, que l'on parle, par exemple, mais que l'on parle de choses importantes, de choses sérieuses, même en riant pourquoi pas, mais pas de ces badinages qui nous font regretter de n'avoir pas pris l'ascenseur seul, il y a des amis, comme ça, je vous l'assure, mais ce n'est pas facile d'être isolé, pas facile du tout, je ne sais pas à quoi ça tient, à une configuration géographique qui pour nous est signe de l'isolement, peut-être, je ne peux pas être isolé en ville, par exemple, impossible, im-pos-si-ble, même dans ma chambre, ma toute petite chambre tout seul, surtout là d'ailleurs, je ne peux pas, là je suis enfermé, je suis enfermé et quand je suis enfermé je suis hors de moi, c'est sensé me faire travailler, je suppose, mais même pas, je reste hors de moi des heures et des heures et des heures, des jours et des mois s'il le faut, des années peut-être, mais je ne fais rien, rien du tout, même pas allongé comme Oblomov, non, mais ça m'est arrivé, avant que j'aie un ordinateur d'ailleurs, plutôt comme l'homme malade, je suis, "je suis malade, je suis un homme malade" comme dit l'autre dans sa cave, c'est ça, tout pareil, sauf que j'ai le soleil et tout le confort, même si le décor est un peu vieillot, ces matières très modernes qui en vieillissant vont vers la poubelle sans rédemption possible, comme les vieux citadins, pareil, à la poubelle de l'incinérateur et personne ne les pleure, mais être isolé, être isolé, j'aime vraiment bien être isolé, être isolé ou faire partie de cette foule en déplacement, ah qu'est-ce que ça pollue mais si vous saviez ce que ça peut me faire, j'aime respirer l'air pollué de cette grosse machine de ville et tous ses flux, tout le monde est affairé et j'aime faire partie de cette foule, mais seulement, je dois dire, quand les gens savent qu'ils font partie de cette foule, quand ils se sourient et quand ils sont joyeux d'aller là où ils vont, leur mort, comme je disais, le néant, mais c'est peut-être tout simplement qu'ils ont quelque chose à faire, tout simplement, alors ça ne leur pose pas de problème de mourir, du moment qu'ils savent ce qu'ils vont faire entre temps, et peut-être qu'ils le font, peut-être, mais là, non, vous devez choisir où vous allez, vous devez décider, sans rien connaître en plus, mais ça doit venir de vous, moi je n'y arrive pas, je ne peux pas, sans doute il faut désirer ce qui vous entoure, alors vous achetez vous achetez, c'est votre raison d'être là, d'acheter, et tous les pas-de-sous vous les haïssez et les prenez de haut, c'est ça le flux dans ma ville, l'horreur, et personne ne sourit en plus, tout le monde fait la gueule en dépensant son argent, pour rien en plus, des babioles pour soi ou pour les autres, parce que les autres on a peur de les perdre, sans même les aimer, alors on leur achète des trucs en ayant peur qu'ils nous rejettent, parce que la raison de vivre qu'on ne se trouve pas on espère qu'ils nous la trouvent, eux, mais même pas, ils nous regardent en chien de faillence et nous inondent de leurs problèmes, ou alors sans doute en ville il faut vouloir, mais je ne veux pas, voyez-vous, ah ça non je ne veux pas, tout de suite je me mets à penser et alors là, non, non non vraiment, ce n'est pas possible, c'est une horreur, je commence à me demander ce que ça va faire dans le futur si je fais ceci, ou si je fais cela, ce qui me fais penser à une autre chose que je pourrais faire, mais parfois je ne le peux pas, et finalement le temps passe et je n'ai fais que penser à ce que je pourrais faire, sans en avoir le temps ni les moyens, quels qu'ils soient les moyens, et voilà, j'ai fini je dois rentrer chez moi et j'ai vécu une vie que je n'ai pas vécue, une vie conceptuelle un peu influencée par ce qui m'entoure, mais mieux encore que tout ce que je pourrais faire, ah ça oui, c'est sûr, elle me plaît mieux, cette vie que je m'imagine, et puis l'avantage c'est que tous les jours je peux en vivre une nouvelle, parce que, dans la vraie vie, la moindre chose prend du temps, de l'énergie, de la pensée, et finalement vous avez quelque chose, oui, une toute petite chose, mais votre vie est passée, on se rappellera de vous peut-être, peut-être, mais peut-être parce que vous vous êtes sacrifié, vous avez sacrifié la seule vie que vous aviez comme telle, comme une seule vie, au lieu de ne rien sacrifier du tout mais de multiplier votre vie par le nombre de jours que votre corps aura vécu, et je dois vous dire, ça prend du temps d'en retenir une, de ces vies, comment vous voulez faire, pour pouvez bien l'écrire, mais encore ça vous prend du temps, il vous faudrait des jours pour écrire la vie d'un seul jour, ou alors résumer, c'est aussi une solution, ou choisir de ne vivre qu'une seule vie par semaine, mais alors là gros problème, si vous vous investissez six jours pour l'écrire, cette vie, peut-être qu'elle ne vous plaira plus avant la fin de la semaine, et c'est du temps de perdu, du temps de perdu à ne pas s'imaginer une autre vie, à ne pas s'imaginer qu'il vaut mieux que vous soyez en vie plutôt que mort alors que la mort, d'ailleurs, vous y pensez tout le temps, tout le temps sauf quand vous vous imaginez une autre vie, et je dis une autre vie, mais parfois c'est pas grand chose, un rien du tout, comme ça, né d'une information qui vous entoure, vous êtes dans vos rêveries et le temps passe, vous n'êtes pas vous-mêmes et vous en portez très bien, ce n'est pas du tout cette obligation d'être soi-même, d'être son corps biologique, et qu'il laisse des traces, surtout, sinon, n'est-ce pas, couic il n'aura rien à bouffer, non mais, je ne sais pas, c'est comme ce ressentiment de ceux qui ont fait une guerre, avec leurs fainéant mange ton assiette, ah si t'avais fait la guerre, on devrait l'envoyer à la guerre ce gamin, comme s'ils voulaient qu'on fasse comme eux pour tout ce qu'ils ont perdu, leur pauvre vie sacrifiée à laquelle pourtant ils s'accrochent et deviennent très très cons au lieu de changer de vie, d'en prendre une autre qui leur corresponde mieux, de laisser leur vie de soldat au chef militaire responsable du désastre, mais non, on s'accroche à ce qui nous a demandé du temps, et parfois des efforts, mais même si l'on ne fait rien, si l'on ne fait rien qu'attendre, c'est comme moi c'est pareil sauf que ce temps je l'ai passé dans mes rêveries alors je m'y accroche, il est hors de question que je redescende sur terre, comme disent ceux qui y sont déjà enterrés, comme des morts sur pattes au cerveau mécanique, juste bons à étudier, et d'ailleurs c'est très drôle parce qu'ils passent leur temps à s'étudier et parfois ils payent même des gens pour les étudier, comme si c'était là le problème, ils participent au système qui les rend étudiables par leurs propres deniers, c'est tout de même formidable, non moi je préfère mon isolement, je n'en sortirai peut-être jamais, je ne changerai peut-être jamais, vivant dans un véritable laboratoire, comme un rat, pire encore, si réglé qu'il n'y aurait même rien à en dire, mais en même temps dans le flux commun je peux être capable de n'importe quoi, où le vent me porte je vais, mais il n'y a rien, ici, rien du tout, je n'ai même pas du rencontrer ce que je pourrais appeler un humain dans cette ville depuis des années, depuis toujours peut-être, j'aimerais bien mais non, ça n'arrive jamais, même les jeunes ils ne s'amusent pas, s'ils s'amusent c'est pour perdre la tête, s'ils ne s'amusent pas c'est pour critiquer au lieu de vivre, alors ils ne m'intéressent pas, en ville ma vie n'est pas souhaitable, et à la campagne je peux enfin m'isoler, j'aimerais être un peu plus isolé, en ville, et j'aimerais que tout ne doive pas aller vite, très vite, mais ce n'est pas possible, je n'y arrive pas, en ville ce ne sont que des gens qui n'aiment pas être ensemble, qui n'aiment même pas être là, qui ont même oublié qu'ils vivaient ensemble, ils veulent absolument aller autre part, et certains y parviennent, en vacances ou pour toujours, on peut se demander comment ça se fait que notre pays soit si développer, comme on dit, alors que c'est si insupportable, d'y vivre, on peut se demander, c'est peut-être pour ça que des gens ont inventé des choses nouvelles, comme moi je m'imagine des vies parallèles, ils ont inventé des choses nouvelles ici, et puis ailleurs aussi, mais il faut être naïf pour innover, il faut croire et pour croire, peut-être qu'il faut qu'il y ait d'autres croyants, mais là, des croyants, non, il n'y en a pas, plus personne ne croit, tout le monde est critique et sceptique, les seuls à faire des choses ils détiennent des postes dans des institutions fermées, mais s'ils ont été élus, et eux seuls font quelque chose, mais les autres, non, s'ils ne dirigent pas ils ne veulent même pas en entendre parler, ça fait des choses nouvelles pour des gens qui ne les veulent pas mais s'en contentent parce qu'ils n'ont pas le choix, c'est sans joie qu'ils obéissent et en obéissant ils n'oublient pas de crier, parfois même ils s'excitent et se mettent à croire à leur énervement, il faut n'avoir aucune idée envie désir vouloir pour se mettre à croire à notre négativité, il y a même des jeunes qui mourraient volontairement comme signe d'opposition, alors qu'ils n'ont jamais essayé de faire quoi que ce soit, qu'ils n'y pensent même jamais, ils sont dépendants de ce qu'ils détestent et leur vie ne vaut rien, mais parfois ils sont beaux, d'une beauté de martyrs que personne ne pourra leur enlever, mais vous croyez que leurs amis révèreraient leur beauté, pas du tout, ils les rendent moches en en faisant des effigies au milieu du bruit de la lutte qui continue, au moins le christianisme lui a fondé une Eglise, ce n'est tout de même pas rien, la République aussi, et puis les communistes, mais maintenant, alors qu'ils sont plus beaux que les chrétiens, plus beaux que les républicains et plus beaux encore que les communistes, ils meurent sans laisser de trace, souillés par leurs amis et ridiculisés par leurs ennemis, qui ne les considèrent même pas comme des ennemis, non eux leurs ennemis sont des chiens enragés sans cervelle au langage borborygmique qui aiment ne pas avoir besoin de parler, dans des petites bulles d'amis ou bien d'amour, et d'autres sur le même mode qui meurent silencieusement, par suicide ou parce qu'ils se laissent mourir, en démission mais souvent très eux-mêmes, étrangement, je n'aime pas les jeunes, et les vieux ils m'ennuient, tous ces gens ils m'ennuient profondément et il n'y a pas de fête collective qui pourrait me faire les aimer, pas de grands flux autoritaires et polluants non plus, et dans mon isolement, je ne peux y aller qu'une fois toutes les quelques années, alors voilà, j'aimerais bien partir d'ici, mais ailleurs c'est sans doute pareil, ou même pire, ou alors, alors oui, voilà, j'aimerais bien passer, seulement passer, et fuir tous ces rapports monstrueux dans lesquels je vois les autres comme monstres et moi-même en retour, un monde léger, ridicule et monstrueux, voilà où c'est que je vis, mais même pas assez drôle pour être absurde, j'aimerais bien, aussi, j'aimerais bien ne pas me tourner vers ce que je n'aime pas, vers ce que j'aime seulement, mais je me sens semblable à tous ces gens, abstraitement, je me sens obligé de participer à l'horreur collective, je me sens responsable, oui, responsable, de cette horreur, et ne parviens pas à m'en détacher comme un marin coule avec son bâteau, même s'il est repêché et remis à flot après que lui se soit noyé, l'imbécile, et je suis léger, ridicule et monstrueux et ne parviens pas, dans le regard de mes semblables, à être très autrement.

dimanche, avril 08, 2007

< Ecce homo >

lorsque le visage atteint une entièreté, une perfection. une forme trop figée, le désir s'y dirige, les traits sont très uniques.

il n'y a pas d'âge pour qu'il y ait des visages. surfaces conservées, éternité de l'instant t.

la mort toujours fait son oeuvre et les oeuvres par-dessus. la mort cernée, et son strict contraire. une dialectique de l'inscription, l'homme écarté entre deux parois s'expose aux yeux de tous.

des images, des images.

quel est ton choix, quelle est ta préférence, ton petit cheval sur qui tu mises ta vie. t'as tout à perdre, la joie de jouer, tu restes là, attends les résultats.

tu fais, tu fais, et projettes, et tu crées. des choix de vie, des marques de soi, toujours le même manège, film en boucle je dis stop --

refrain entre deux couplets, on respire et balance. plongée en apnée, une caverne musée, stop. les couplets s'enchaînent et on ne les retiens pas, le refrain s'ancre.

silence. vide. des lames de son qui circulent dans la pièce, non. silence. mise en boîte, mise en boîte, la mort partout, la vie, aussi, il dit : dialectique, l'homme écarté entre deux parois s'expose aux yeux de tous. stop.

ouverture du cube : croix.

les papillons s'envolent. feu et métamorphose.

[cube blanc dedans noir, les papillons s'envolent dans le blanc]