dimanche, juillet 22, 2018

< Les gens qui s'aiment ne cachent pas les enfants perdus >

Les gens qui s'aiment ne cachent pas les enfants perdus Ils leur font une place auprès des morts au creux de leur bras croisés Ils partagent le deuil de ce qui n'a pas existé et à tous les morts jaloux qui demandent "pourquoi lui ?" Ils se disent en silence qu'ils conservent le souvenir d'un avenir barré Les gens qui s'aiment ne cachent pas les enfants perdus Ils accueillent leur vide dans leur yeux dévêtus sans pleurs sans innocence ni fleurs Ils écoutent en l'autre l'écho de leur tristesse sourde et celui de la joie d'une vie libre et à venir Ils se tournent l'un vers l'autre et sont rares ceux qui peuvent en décider Les gens qui s'aiment ne cachent pas les enfants perdus Ils trouvent dans leur absence la puissance d'être vivant et d'aimer encore ou plus Ils trouvent dans leur absence la puissance d'être vivant et d'aimer encore ou plus Les enfants perdus des gens qui ne se sont pas aimés sont perdus à jamais

dimanche, mars 01, 2009

< Morts sans tombes, danse macabre >

Extinction d'un possible

Mort sans tombe, poubelle ouverte

Première


Ce n'était - pas le moment

Pas le moment, pas le moment

Nous ne - pouvions pas

Pas d'argent


Pas la place, pas de confiance, pas d'intime


Son amour est parti, elle ne va pas rester

Rester - toute seule

Mais pas toute seule, elle n'est pas toute seule

Se sent toute seule depuis

Depuis des mois

Elle - je - nous

Nous

Porte de cimetière ouverte, il ne faut pas

Il faut fermer ces portes, des jeunes pourraient profaner les tombes

Absence de tombe, l'amour est un cimetière

Cimetière depuis la tombe

Tombe arrachée, haute lutte

Cimetière maintenant, une tombe

Sans tombe, poubelle

Elle - je - nous

Cimetière

Pas rester

Ce petit cristal

De nous

A la poubelle

Ce petit bout

De nous

Au cimetière

Ce grand amour

De nous


Porte fermée, porte ouverte

Pleurs cris violence indifférence et meurtre

Affects évaporés, on oublie

Pas de mots

Des jeunes pourraient profaner


Solitude

Noirceur

Doigts qui ne s'étendent pas

Regards ailleurs

Des peaux lointaines

Des élans au-dedans

Au-dedans, au-dedans, au-dedans

Retrouver, perdre, tuer, jeter


Liquidation d'une possibilité, première

Caméra noir et blanc, fouille les creux

Ça bouge, ça vit, ça meurt

À liquider, à jeter, pas de mots, pas de mots, pas de signes, pas de sens

Liquidation des creux de vie, des poches d'amour

Désert, cimetière, champ de ruines, champ de ruines - évaporées poussière

Eros et thanatos néant, liquidation totale sans flux, tout part à des vitesses extrêmes

Aspiration des creux poubelle

Il n'y a rien à voir


Quels sont ces corps rompus sur le rivage

Défaits dans le sommeil, abrutis de travail

Hier encore petits sourires yeux tristes, "je te considère comme mon meilleur ami"

Éclatement des bulles de savon

Rayer les masques, secouer les arbres plantés dans l'existence

Interroger les brins d'herbe que nous sommes

Prendre la mesure du vent

Quels sont ces corps rompus sur le rivage

En des postures bizarres

Desséchés bouche ouverte le vent le sable du désert emporte leur peau leur chair, leurs os s'offrent aux bédouins, la traversée est rude


Le choc est fort, la mort est là

Tabula rasa, terre brûlée, ne s'est-il rien passé

Affects offerts à l'usine et infusés dans le sable du désert

Dans la poubelle plus qu'un lambeau de sang

Lancinantes mélodies face à un ciel désert

"Je ne rêve plus, je ne fais que pleurer, comme une malade mentale qu'on n'aurait pas soigné"


Des corps recroquevillés qui cherchent dans leurs entrailles une étincelle de vie

Une mèche de bougie éteinte

Vie à mourir, vie à venir, une vie quelconque qui sourd

Un peu de vie qui reste


Sur un rivage non-humain des corps recroquevillés

Rejetés par les vagues

À l'âme, dernières amies, étranges


Silence dans la salle

Les corps

Évidés

Pourront-ils se mouvoir

Écroulés sur la scène


La salle est vide, lumières éteintes

Des larmes sèches courent jusque dans les coins de ses rondeurs

La porte de ce cimetière se ferme

Mouvements ?

Tombe ?

Des flux secs parcourant la poubelle ?

L'évènement assourdissant trouvera-t-il sa transe ?


L'évènement assourdissant sera-t-il entendu

Ou la poubelle trônera-t-elle triomphante ?


Quelle est la force de ces corps liquidés ?


Extinction d'un possible, mort sans tombe

Poubelle ouverte, évènement insondable

Première et deux jours

D'un mort mort-jeté


"A trop penser, on s'enlise

Et on devient vite

Suicidaire"

Quel est

Quel est ce petit nœud

Sourd et fort

Mèche d'une bougie d'une bombe de cheveux allumée dans le vent menacée par la cire

Qui se noue en mon fond et me tue et m'étrangle

Extrémités tremblantes

Cœur qui se serre, cœur qui vit

Épuisement, mon cœur

Petit nœud qui m'accroche

mardi, janvier 06, 2009

Charles Bukowski, Le génie de la foule

Je vous propose une petite traduction de ce poème génial et magnifique. Lu par Hank à voir sur Youtube.


Le génie de la foule


il y a assez de traîtrise, d'haineuse violence absurde dans l'être humain moyen
pour fournir n'importe quelle armée à n'importe quel moment

et les plus doués pour le meurtre sont ceux qui revendiquent contre lui
et les plus doués pour la haine sont qui revendiquent l'amour
et les plus doués pour la guerre sont ceux qui revendiquent la paix

ceux qui revendiquent Dieu, ont besoin de Dieu
ceux qui revendiquent la paix n'ont pas la paix
ceux qui revendiquent l'amour n'ont pas l'amour

méfies-toi des revendicateurs
médies-toi des savants
méfies-toi de ceux qui lisent tout le temps des livres
méfies-toi de ceux qui détestent la pauvreté
ou en sont fiers
méfies-toi de ceux qui louent rapidement
car ils ont besoin de louanges en retour
méfies-toi de ceux qui censurent rapidement
ils ont peur de ce qu'ils ne connaissent pas
méfies-toi de ceux qui recherchent toujours la foule
ils ne sont rien tous seuls
méfies-toi de l'homme moyen de la femme moyenne
méfies-toi de leur amour, leur amour est moyen
recherche la moyenne

mais il y a du génie dans leur haine
il y a assez de génie dans leur haine pour te tuer
pour tuer n'importe qui
ne voulant pas la solitude
ne comprenant pas la solitude
ils essaieront de tout détruire
ce qui diffère d'eux-mêmes
n'étant pas capable de créer de l'art
ils ne comprendront pas l'art
ils considèreront leur ratage comme créateurs
seulement comme un ratage du monde
n'étant pas capable d'aimer pleinement
ils croiront ton amour incomplet
et ensuite ils te détesteront
et leur haine sera parfaite

comme un diamant brillant
comme un poignard
comme une montagne
comme un tigre
comme la ciguë

leur plus grand art

mercredi, mai 30, 2007

< Chemin morte tendre exil 3 >

Mon coeur quoiqu'il arrive bat trop vite. Prendre de vitesse le monde et tous les êtres, et rester immobile. Je m'enfonce déprimé dans l'insensibilité du travailleur gratuit, plus que nerfs et réflexes, maux de dos et de jambes, de coeur et de poumons, tout entier putréfaction et maux, pour rien.
Léger humain porté par les souffles de l'instant et de l'environnement. Clochard déprimé dans les lieux sédentaires pendant que la panique sourde monte. Oiseau léger rêveur, naissance d'un horizon, en passage en des lieux, porté par des transports. Travailleur incarné, aliéné haine de soi, mais presque heureux parfois, en période de salaires. Lourde et vibrante machine en marche, des fusées dans le crâne, au milieu des bouquins, tempêtes puissantes quand l'électrique cerveau ne parvient qu'à peine à maîtriser les emballements cardiaques.
Parfait hérisson, ou est-ce petit bourgeois, moi moi moi, moi moi moi, handicapé des épines, suffoque ou meurt de froid. L'horreur de tout un monde. Des sortes de rats agglutinés en communautés gloutonnes et des individus laissés à eux-mêmes, comme des rois, comme des parias, aucune juste mesure, incapacité de chacun et de tous à tisser relation ensemble. Ensemble, ensemble, c'est le mot de ce monde, des petits ensembles, voilà leur taille humaine. Rebus de ce monde lorsqu'un beau jour décidai de m'extraire de cette fange, commune, trop commune, pour entrer dans les livres. Et puis solitude et culpabilité, et des liens pour survivre. Seuls ces liens. Des ensembles minimums où s'accrocher, abandonnant tout goût. Est-ce là, après plusieurs années, alors même qu'en passage, qu'elle survint ?
Si l'on tombe, c'est bien que l'on s'accroche. Peur de tomber sans fin en cas de lâche-ammares. Lorsque l'on marche, qu'en a-t-on à faire d'elles ? Le monde prend forme autour de nous, en nous, et nous en lui, les horizons possibles s'élèvent, les rêves s'élaborent, en sourire nous rencontrons les humains, et frayons avec eux, notre vie prend corps, notre corps porte les stigmates du monde, et — et non, pas ça ! Pas ÇA, crie quelque part en nous une voix. Nous la faisons crier de force car elle chuchote et s'exprime en un souffle las de peur de ne plus s'entendre.
Il y a tant et tant à dire lorsque l'on ne bouge pas, pourtant non immobile. Un résumé très court : c'est la mort qui s'installe. Un point où je peux dire, avec un peu d'espoir : tout ce que je pense et dis vaut par performation ; mais la seule performation est ma parole aphone enfoncée dans le divan.
Lorsque l'on fuit on s'égare des champs sémantiques censés nous contenir, censés nous définir. Et croyez-vous que c'était pour faire joli, l'emmaillotement, cette analogie en coulisses ? Nous sommes des hommes libres, démmaillotés depuis toujours, sans même une consigne automatique pour nous apprendre à étouffer, pas même jetés. Non contenus et non définis, à nous le travail. Non mais quelle chance ! Les clés du mécanisme ont bien du être insérées quelque part. Exercice pour le prochain cours : isoler des champs sémantiques, s'y promener comme un aimant.
Chercher des repères autour de soi, de quoi rêver un peu. Sonder par une matière quelconque qui s'écoule hors de nous, jusqu'à trouver des repères, de quoi rêver un peu. De quoi faire. Pour beaucoup cette matière n'est pas banalement corporelle. Avec un peu de chance ces repères trouvent à s'inscrire plus ou moins dans le monde, et nous permettent de vivre. Ah quand nous savons où vivre tout cela est bien plus simple, mais nous avons tué le destin.

< Chemin morte tendre exil 2 >

Une pièce blanche. Une grande salle de musée dans un blockhaus quelconque. Un endroit lumineux sous quelques hallogènes. Un blanc mat comme une falaise de craie. Rester à l'entrée. Imaginer ce qu'il pourrait advenir là. Imaginer le geste. Le pas. Le regard. L'oreille. Imaginer le corps de qui entrerait là. De qui se tiendrait là.

Chemin morte, tendre exil, les siècles s'amoindrissent de quelques zigotos. De gamins en partance, de rigoles en descentes. Des corps tannés, pongés, risqués au crépuscule, amollis au reflux de mains trop carressantes. Des bontons et des plaques, des effluves et des flaques. Les jeunes filles se ramassent en cadavres muants, serpents de salles de bains, peaux moites et odorantes.

Un cadre tinte, en chemin de sa place. Des mains expertes le font se balancer, les jambes désarçonnées, lourdes et les bras balants. Son dos brun pâle recèle un numéro de crayon rouge. Bords noirs cerclant le faire-part apporté. L'homme ne trébuche pas, son assurance vacillante est garante de son ancrage terrien, les voiles menant vers l'inconnu, messager des lieux clos.

Je peine à percevoir la moindre imperfection sur ta peau granulée. Ton territoire connu, terres sacrées, surface ouverte à tous, cachée et bien trop chère. La perfection ouvre sur l'immensité, aspire les humains comme des mouches perdues. Triste fascination sans lendemain, la mélancolie des nostalgiques de ce qu'ils n'ont jamais eu.

Des corps laboratoires. Trois corps dieux et humains, images matières en stock dans l'usine des instruments de capture. L'infini d'un seul corps en vingt mètres carrés. Musique comme japonaise, des tensions et des souffles, des surprises et des pauses, les coincidentia oppositorum alignés successifs dans la ligne musicale. Elle teinte la pièce plongée dans l'ombre elle est caveau. Et les conditions changent, suivant les heures du jour. Tout ce que l'on peut faire dire à un corps. Parvenir à l'aimer.

La soudaineté de la pelle du bulldozer à travers le plafond. Occupe la moitié de la pièce. Se relève et revient. Intervales réguliers qui régulent la panique. Lents et certains et lourds. Accrochent toujours un petit bout de plafond, démolition totale, un art à l'état brut. Les photographies se perdent dans la brume, les étendoirs peut-être tombés. Les corps morts mis au jour, détiennent leur vérité dans la lumière soudaine, profanation naissance.

Peau contre peau. Nous sommes lourds et pâteaux, notre chair maigre est flasque. Bruyants en chuchotant. Sereins dans le silence et le repos des corps. Nulle question de musique envoûtante. L'horreur de ces énergumènes se promenant en musées se demandant où ils sont. Qu'est-ce qu'ils voient. Ce qu'ils doivent en penser. Déploiement naturel des corps à l'écoute. Trois colonnes en triangle équilatéral. Autour, des fées, des fantômes flottants à l'écoute tête penchée.

Epuration des rapports d'étrangeté. La médiation de l'art. On ne peut pas laisser les choses sérieuses aux humains, aux rapports interpersonnels de la plupart d'entre eux. Et des médiations techniques dans ces rapports quand il ne s'agit pas d'ouvrir sur un inconnu. Jusqu'au grotesque et aux armes. Maîtrise de la culture. Mais qui cela concerne ?

< Chemin morte tendre exil 1 >

Chemin morte tendre exil au soleil hispanique d’ivoire sablé morte en chemin qu’elle d’une anse perdue d’avance au creux des reins filous. Une chevaline esquisse d’abrutis en pâture lui valut d’hisser l’ire aux blêmissants ventrus. Georges n’y cru point d’un as qu’il ira au soleil se dorer l’espadon. Mortel ennui très cher, mortel désespoir en noires flaques effaçables. Giboulées d’hivernale très à quatre feuille sali rougeoyant d’anémone et crevure sibyllin. Argentique espoir seul qui m’avait permis l’hydre au chevet d’une taupe attraper les cinq mains.
Ainsi passèrent les jours et l’ivoire amoindri chercha à quatre têtes se hisser au gratin. J’ai toujours par chez moi une gigantesque tête au mur de morte chasse. J’ai toujours au creux d’un mortel espadon grec cherchant l’Annapurna. Elle avait cru un jour pouvoir m’attraper sec et me rejeter bien comme un vieux raisin sec. Elle avait cru un jour se passer de mes bras et cracher son amour à l’aide d’un bazooka. J’ai toujours au pain sec un cœur renfermé dru qui s’excite en ses aises.
Acrimonie salée qu’il a plus tôt perdu son objet rétractile.

vendredi, avril 20, 2007

< Made in town >

Comme je suis hors de moi, tout doit aller vite, très vite, je ne m'arrête nulle part, nulle part, je ne fais que passer et les choses aussi, doivent passer, les gens doivent passer, tout doit passer, très vite passer, passer passer, ça laisse pas de traces, ou alors si, mais dans l'air, c'est diffus, comme ça, en l'air, et tout passe mais pas n'importe comment, quand ça passe bien comme ça, bien fluide, ah là j'aime bien, quand tout est bien réglé, que ça marche bien, que tous les gens passent les yeux grands ouverts devant eux, et les choses, oui, pareil, grands ouverts les yeux sur le destin, sur le néant, oui, mais sans horreur, peut-être une panique mais pas sensorielle, c'est pas dans les nerfs, dans le corps, non, c'est une panique asensirielle et muette, oui, quelque chose comme ça, ça obéit au système, mais c'est pas un problème, attention, et c'est plutôt quand chacun prend plaisir à ça que ça devient plaisant, quand tout le monde aime cette fluidité et passe, il y a des éclairs, comme ça, qui se retiennent, mais tout passe quand même, j'ai horreur de ce qui ne passe pas, de ce qui est lent, de ce qui s'oppose à ces flux magiques, c'est vrai, c'est magique, très magique, c'est extraordinaire, mais je dois dire aussi que parfois je ne suis pas hors de moi, voilà, je ne sais pas être autrement, hors de moi ou alors pas du tout, bien enfermé, parfois isolé, mais quand je suis enfermé je suis encore hors de moi, alors voilà, isolé, là c'est le contraire, tout reste, ça passe peut-être, mais alors à des vitesses si lentes que ça reste dans l'air, un peu comme la fumée quand les fenêtres sont fermées, qu'il fait beau dehors à travers la vitre les rayons la transperce, on voit bien la fumée qui stagne, comme ça, comme des nuages sans vent, on ne sait pas s'ils avancent, et si on les regarde la journée a passé sans même qu'on s'en rende compte, si lents que si on les regarde à quelques heures d'intervalles on ne se rappelle même plus qu'ils étaient là, la mémoire nous revient au bout d'un moment, comme un étonnonement, "ah oui, tiens, c'est vrai, ils ne sont plus là les nuages qui n'avançaient pas", c'est pareil quand je suis isolé, toute chose peut se répéter indéfiniment ça ne me pose pas de problème, le monde n'existe pas ailleurs, dehors, j'y suis bien, ou plutôt le monde existe mais la différence est claire, il y a une frontière et surtout pas de conflit, je coexiste bien avec le monde en somme, voilà c'est comme ça quand je suis isolé, mais il ne faut pas qu'il y ait des gens qui viennent me voir, je préfère pas, ou alors pas beaucoup et rarement et qu'ils m'appellent avant, je préfère, et que nos rencontres soient des évènements, que l'on parle, par exemple, mais que l'on parle de choses importantes, de choses sérieuses, même en riant pourquoi pas, mais pas de ces badinages qui nous font regretter de n'avoir pas pris l'ascenseur seul, il y a des amis, comme ça, je vous l'assure, mais ce n'est pas facile d'être isolé, pas facile du tout, je ne sais pas à quoi ça tient, à une configuration géographique qui pour nous est signe de l'isolement, peut-être, je ne peux pas être isolé en ville, par exemple, impossible, im-pos-si-ble, même dans ma chambre, ma toute petite chambre tout seul, surtout là d'ailleurs, je ne peux pas, là je suis enfermé, je suis enfermé et quand je suis enfermé je suis hors de moi, c'est sensé me faire travailler, je suppose, mais même pas, je reste hors de moi des heures et des heures et des heures, des jours et des mois s'il le faut, des années peut-être, mais je ne fais rien, rien du tout, même pas allongé comme Oblomov, non, mais ça m'est arrivé, avant que j'aie un ordinateur d'ailleurs, plutôt comme l'homme malade, je suis, "je suis malade, je suis un homme malade" comme dit l'autre dans sa cave, c'est ça, tout pareil, sauf que j'ai le soleil et tout le confort, même si le décor est un peu vieillot, ces matières très modernes qui en vieillissant vont vers la poubelle sans rédemption possible, comme les vieux citadins, pareil, à la poubelle de l'incinérateur et personne ne les pleure, mais être isolé, être isolé, j'aime vraiment bien être isolé, être isolé ou faire partie de cette foule en déplacement, ah qu'est-ce que ça pollue mais si vous saviez ce que ça peut me faire, j'aime respirer l'air pollué de cette grosse machine de ville et tous ses flux, tout le monde est affairé et j'aime faire partie de cette foule, mais seulement, je dois dire, quand les gens savent qu'ils font partie de cette foule, quand ils se sourient et quand ils sont joyeux d'aller là où ils vont, leur mort, comme je disais, le néant, mais c'est peut-être tout simplement qu'ils ont quelque chose à faire, tout simplement, alors ça ne leur pose pas de problème de mourir, du moment qu'ils savent ce qu'ils vont faire entre temps, et peut-être qu'ils le font, peut-être, mais là, non, vous devez choisir où vous allez, vous devez décider, sans rien connaître en plus, mais ça doit venir de vous, moi je n'y arrive pas, je ne peux pas, sans doute il faut désirer ce qui vous entoure, alors vous achetez vous achetez, c'est votre raison d'être là, d'acheter, et tous les pas-de-sous vous les haïssez et les prenez de haut, c'est ça le flux dans ma ville, l'horreur, et personne ne sourit en plus, tout le monde fait la gueule en dépensant son argent, pour rien en plus, des babioles pour soi ou pour les autres, parce que les autres on a peur de les perdre, sans même les aimer, alors on leur achète des trucs en ayant peur qu'ils nous rejettent, parce que la raison de vivre qu'on ne se trouve pas on espère qu'ils nous la trouvent, eux, mais même pas, ils nous regardent en chien de faillence et nous inondent de leurs problèmes, ou alors sans doute en ville il faut vouloir, mais je ne veux pas, voyez-vous, ah ça non je ne veux pas, tout de suite je me mets à penser et alors là, non, non non vraiment, ce n'est pas possible, c'est une horreur, je commence à me demander ce que ça va faire dans le futur si je fais ceci, ou si je fais cela, ce qui me fais penser à une autre chose que je pourrais faire, mais parfois je ne le peux pas, et finalement le temps passe et je n'ai fais que penser à ce que je pourrais faire, sans en avoir le temps ni les moyens, quels qu'ils soient les moyens, et voilà, j'ai fini je dois rentrer chez moi et j'ai vécu une vie que je n'ai pas vécue, une vie conceptuelle un peu influencée par ce qui m'entoure, mais mieux encore que tout ce que je pourrais faire, ah ça oui, c'est sûr, elle me plaît mieux, cette vie que je m'imagine, et puis l'avantage c'est que tous les jours je peux en vivre une nouvelle, parce que, dans la vraie vie, la moindre chose prend du temps, de l'énergie, de la pensée, et finalement vous avez quelque chose, oui, une toute petite chose, mais votre vie est passée, on se rappellera de vous peut-être, peut-être, mais peut-être parce que vous vous êtes sacrifié, vous avez sacrifié la seule vie que vous aviez comme telle, comme une seule vie, au lieu de ne rien sacrifier du tout mais de multiplier votre vie par le nombre de jours que votre corps aura vécu, et je dois vous dire, ça prend du temps d'en retenir une, de ces vies, comment vous voulez faire, pour pouvez bien l'écrire, mais encore ça vous prend du temps, il vous faudrait des jours pour écrire la vie d'un seul jour, ou alors résumer, c'est aussi une solution, ou choisir de ne vivre qu'une seule vie par semaine, mais alors là gros problème, si vous vous investissez six jours pour l'écrire, cette vie, peut-être qu'elle ne vous plaira plus avant la fin de la semaine, et c'est du temps de perdu, du temps de perdu à ne pas s'imaginer une autre vie, à ne pas s'imaginer qu'il vaut mieux que vous soyez en vie plutôt que mort alors que la mort, d'ailleurs, vous y pensez tout le temps, tout le temps sauf quand vous vous imaginez une autre vie, et je dis une autre vie, mais parfois c'est pas grand chose, un rien du tout, comme ça, né d'une information qui vous entoure, vous êtes dans vos rêveries et le temps passe, vous n'êtes pas vous-mêmes et vous en portez très bien, ce n'est pas du tout cette obligation d'être soi-même, d'être son corps biologique, et qu'il laisse des traces, surtout, sinon, n'est-ce pas, couic il n'aura rien à bouffer, non mais, je ne sais pas, c'est comme ce ressentiment de ceux qui ont fait une guerre, avec leurs fainéant mange ton assiette, ah si t'avais fait la guerre, on devrait l'envoyer à la guerre ce gamin, comme s'ils voulaient qu'on fasse comme eux pour tout ce qu'ils ont perdu, leur pauvre vie sacrifiée à laquelle pourtant ils s'accrochent et deviennent très très cons au lieu de changer de vie, d'en prendre une autre qui leur corresponde mieux, de laisser leur vie de soldat au chef militaire responsable du désastre, mais non, on s'accroche à ce qui nous a demandé du temps, et parfois des efforts, mais même si l'on ne fait rien, si l'on ne fait rien qu'attendre, c'est comme moi c'est pareil sauf que ce temps je l'ai passé dans mes rêveries alors je m'y accroche, il est hors de question que je redescende sur terre, comme disent ceux qui y sont déjà enterrés, comme des morts sur pattes au cerveau mécanique, juste bons à étudier, et d'ailleurs c'est très drôle parce qu'ils passent leur temps à s'étudier et parfois ils payent même des gens pour les étudier, comme si c'était là le problème, ils participent au système qui les rend étudiables par leurs propres deniers, c'est tout de même formidable, non moi je préfère mon isolement, je n'en sortirai peut-être jamais, je ne changerai peut-être jamais, vivant dans un véritable laboratoire, comme un rat, pire encore, si réglé qu'il n'y aurait même rien à en dire, mais en même temps dans le flux commun je peux être capable de n'importe quoi, où le vent me porte je vais, mais il n'y a rien, ici, rien du tout, je n'ai même pas du rencontrer ce que je pourrais appeler un humain dans cette ville depuis des années, depuis toujours peut-être, j'aimerais bien mais non, ça n'arrive jamais, même les jeunes ils ne s'amusent pas, s'ils s'amusent c'est pour perdre la tête, s'ils ne s'amusent pas c'est pour critiquer au lieu de vivre, alors ils ne m'intéressent pas, en ville ma vie n'est pas souhaitable, et à la campagne je peux enfin m'isoler, j'aimerais être un peu plus isolé, en ville, et j'aimerais que tout ne doive pas aller vite, très vite, mais ce n'est pas possible, je n'y arrive pas, en ville ce ne sont que des gens qui n'aiment pas être ensemble, qui n'aiment même pas être là, qui ont même oublié qu'ils vivaient ensemble, ils veulent absolument aller autre part, et certains y parviennent, en vacances ou pour toujours, on peut se demander comment ça se fait que notre pays soit si développer, comme on dit, alors que c'est si insupportable, d'y vivre, on peut se demander, c'est peut-être pour ça que des gens ont inventé des choses nouvelles, comme moi je m'imagine des vies parallèles, ils ont inventé des choses nouvelles ici, et puis ailleurs aussi, mais il faut être naïf pour innover, il faut croire et pour croire, peut-être qu'il faut qu'il y ait d'autres croyants, mais là, des croyants, non, il n'y en a pas, plus personne ne croit, tout le monde est critique et sceptique, les seuls à faire des choses ils détiennent des postes dans des institutions fermées, mais s'ils ont été élus, et eux seuls font quelque chose, mais les autres, non, s'ils ne dirigent pas ils ne veulent même pas en entendre parler, ça fait des choses nouvelles pour des gens qui ne les veulent pas mais s'en contentent parce qu'ils n'ont pas le choix, c'est sans joie qu'ils obéissent et en obéissant ils n'oublient pas de crier, parfois même ils s'excitent et se mettent à croire à leur énervement, il faut n'avoir aucune idée envie désir vouloir pour se mettre à croire à notre négativité, il y a même des jeunes qui mourraient volontairement comme signe d'opposition, alors qu'ils n'ont jamais essayé de faire quoi que ce soit, qu'ils n'y pensent même jamais, ils sont dépendants de ce qu'ils détestent et leur vie ne vaut rien, mais parfois ils sont beaux, d'une beauté de martyrs que personne ne pourra leur enlever, mais vous croyez que leurs amis révèreraient leur beauté, pas du tout, ils les rendent moches en en faisant des effigies au milieu du bruit de la lutte qui continue, au moins le christianisme lui a fondé une Eglise, ce n'est tout de même pas rien, la République aussi, et puis les communistes, mais maintenant, alors qu'ils sont plus beaux que les chrétiens, plus beaux que les républicains et plus beaux encore que les communistes, ils meurent sans laisser de trace, souillés par leurs amis et ridiculisés par leurs ennemis, qui ne les considèrent même pas comme des ennemis, non eux leurs ennemis sont des chiens enragés sans cervelle au langage borborygmique qui aiment ne pas avoir besoin de parler, dans des petites bulles d'amis ou bien d'amour, et d'autres sur le même mode qui meurent silencieusement, par suicide ou parce qu'ils se laissent mourir, en démission mais souvent très eux-mêmes, étrangement, je n'aime pas les jeunes, et les vieux ils m'ennuient, tous ces gens ils m'ennuient profondément et il n'y a pas de fête collective qui pourrait me faire les aimer, pas de grands flux autoritaires et polluants non plus, et dans mon isolement, je ne peux y aller qu'une fois toutes les quelques années, alors voilà, j'aimerais bien partir d'ici, mais ailleurs c'est sans doute pareil, ou même pire, ou alors, alors oui, voilà, j'aimerais bien passer, seulement passer, et fuir tous ces rapports monstrueux dans lesquels je vois les autres comme monstres et moi-même en retour, un monde léger, ridicule et monstrueux, voilà où c'est que je vis, mais même pas assez drôle pour être absurde, j'aimerais bien, aussi, j'aimerais bien ne pas me tourner vers ce que je n'aime pas, vers ce que j'aime seulement, mais je me sens semblable à tous ces gens, abstraitement, je me sens obligé de participer à l'horreur collective, je me sens responsable, oui, responsable, de cette horreur, et ne parviens pas à m'en détacher comme un marin coule avec son bâteau, même s'il est repêché et remis à flot après que lui se soit noyé, l'imbécile, et je suis léger, ridicule et monstrueux et ne parviens pas, dans le regard de mes semblables, à être très autrement.